Alors que le Mexique et le Canada font l’objet de menaces tarifaires depuis la fin novembre, ce n’est qu’au début du mois d’avril que le reste de la planète a gouté à la médecine de l’Administration Trump. Le « Liberation Day » a marqué les esprits. Aucun pays n’est épargné des droits de douane et de l’incertitude qui y est associée.
Les perspectives de croissance économique pour 2025 ont été révisées à la baisse, et cela, de façon généralisée. Qui plus est, plusieurs de ces perspectives s’accompagnent de mises en garde quant à leur fiabilité étant donné l’incertitude qui atteint un niveau exceptionnel.
Cette édition de l’Escale économique brosse un portrait de la révision récente des perspectives économiques mondiales, américaines, canadiennes, québécoises et pour l’industrie touristique.
« Liberation Day » et retour du protectionnisme
Le 2 avril 2025, Donald Trump a présenté à l’ensemble de la planète la nouvelle politique commerciale des États-Unis. Celle-ci marque un retour brutal et rapide au protectionnisme et nationalisme économique.1
Le président américain a annoncé à ce moment un tarif douanier universel de 10 % sur toutes les importations américaines, peu importe leur provenance, ainsi qu’une série de droits de douane réciproques variant d’un pays à l’autre (en fonction d’une règle qui en a dérouté plus d’un!). Dans la foulée, les marchés boursiers et obligataires ont subi des soubresauts et une guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis s’est constituée.
Bien que Trump ait reculé une semaine plus tard en soulevant les tarifs réciproques pour une période de 90 jours, les États-Unis ont imposé une surtaxe distincte sur la majorité des produits chinois (initialement de 145 %, aujourd’hui à 30 %). En réponse, la Chine a ajouté à son tour des taxes douanières sur les produits américains (initialement de 125 %, aujourd’hui à 10 %).
Somme toute, le Fonds monétaire international (FMI) estime que le taux moyen pondéré des tarifs douaniers américains sur les importations est passé d’environ 2 % à environ 22 % (à la mi-avril). Il faut reculer au début du siècle dernier pour retrouver un tel niveau de droits de douane aux États-Unis.2
Perspectives mondiales
Selon le FMI, la hausse des tarifs et l’incertitude qui en découle entrainent actuellement un ralentissement de la croissance économique.3
En janvier 2025, le FMI prévoyait une croissance du PIB réel mondial de 3,3 % en 2025 et 2026. Il prévoit aujourd’hui une hausse de 2,8 % en 2025 et 3,0 % en 2026. Un rythme aussi faible à l’échelle mondiale ne s’est pas observé depuis 2002 (abstraction faite de 2020, année marquée par la pandémie). En guise de comparaison, la croissance moyenne observée entre 2000 et 2019 fut de 3,7 %.
D’une part, l’incertitude sans précédent associée à l’imprévisibilité des politiques commerciales mine la confiance des entreprises et des consommateurs. Les entreprises gèlent les embauches et reportent leurs investissements alors que les consommateurs diminuent ou reportent leurs dépenses. Le recul qu’on observe dans les perspectives à court terme s’explique principalement par ce facteur.
D’autre part, les tarifs douaniers chamboulent les chaines d’approvisionnement et, si ça se maintient, entraineront leur réorganisation. Cet aspect commence tout juste à se manifester, de manière ponctuelle, mais il est encore trop tôt pour en mesurer l’impact, d’autant plus que les tarifs sont toujours sujets à des changements. Ce facteur, à défaut d’expliquer le recul qu’on observe présentement dans les perspectives, explique les mises en garde quant à la fiabilité des prévisions.
Perspectives américaines
Le FMI a retiré 0,9 point de pourcentage à la croissance américaine par rapport à ce qu’il prévoyait en janvier 2025. Ainsi, pour l’ensemble de 2025, le taux est passé de 2,8 % en 2024 à 1,8 % en 2025. Rappelons que l’économie américaine affichait un rythme de croissance soutenu en 2024 au point d’exercer des pressions inflationnistes.4
Les plus récentes données du US Bureau of Economic Analysis donne l’impression que l’économie américaine s’est contractée de 0,3 % au premier trimestre de 2025. Ce recul du PIB réel n’indique pas une détérioration de l’économie américaine, toutefois. Il s’explique principalement par une hausse importante des importations : plusieurs importateurs ont devancé leurs achats afin d’éviter les droits de douane. La demande intérieure – constituée principalement par les dépenses des ménages – a continué de croitre aux États-Unis au premier trimestre. En fait, actuellement, le marché du travail tient bon et la croissance des revenus se poursuit. 5,6
Il n’en demeure pas moins que les tarifs douaniers risquent de ralentir la croissance aux États-Unis et d’y maintenir l’inflation à un niveau plus élevé qu’il ne le serait autrement.7
Perspectives canadiennes
Après sept baisses consécutives de son taux directeur, la Banque du Canada a décidé de faire une pause le 16 avril dernier, parce qu’elle lui était impossible de prévoir avec suffisamment de précision la façon dont l’économie canadienne allait évoluer à partir de ce moment.8
Dans ce contexte, plutôt que d’élaborer tel qu’à l’habitude des prévisions selon un scénario de référence, la Banque du Canada a choisi de réaliser deux séries de prévisions en fonction de deux scénarios:
− Scénario 1 : La plupart des droits de douane américains seraient annulés, du fait de négociations, et l’économie canadienne ferait du surplace en raison de l’incertitude généralisée. Dans ce scénario, la croissance du PIB réel canadien stagne au 2e trimestre de 2025 et reprend graduellement son rythme.
− Scénario 2 : Une guerre commerciale de longue durée entraine de graves répercussions sur l’économie canadienne. Dans ce scénario, le PIB réel canadien se contracterait tout au long de 2025.
Perspectives québécoises
Selon les économistes des principales institutions financières canadiennes qui ont révisé leurs prévisions depuis le « Liberation Day », la croissance du PIB réel du Québec devrait passer de 1,4 % en 2024 à 0,8 % en 2025 et 0,6 % en 2026.9 En guise de comparaison, le PIB réel québécois a crû de 0,6 % en 2023, année durant laquelle le Québec a connu une récession.10
Les dépenses de consommation devraient être le principal moteur de l’activité économique au Québec en 2025. Certes, le marché du travail commence à se détériorer, la confiance des consommateurs recule et le resserrement des politiques d’immigration limite la croissance de la population. Toutefois, la baisse récente des taux d’intérêt et la situation financière relativement bonne des Québécois (du moins, par rapport aux autres Canadiens) devraient stimuler la consommation en 2025.11 À cet égard, Desjardins prévoit une hausse de 2,7 % de la consommation des ménages en 2025 comparativement à 2,2 % à l’échelle canadienne.12
Perspectives du secteur touristique
Bien qu’on ait observé une diminution évidente des entrées des Américains à la frontière entre mars et avril, ce recul doit être relativisé par le fait que ces mois furent très achalandés en 2024.13 De même, l’Alliance et son réseau n’observent pas, actuellement, d’annulation massive des Américains qui avaient prévu de passer des vacances au Québec cet été.14
Plusieurs enquêtes publiées récemment laissent présager une saison estivale semblable à celle de 2024 :
− Les intentions de voyages au Québec à l’été 2025 du ministère du Tourisme du Québec (MTO) suggèrent une croissance des intentions de voyage sur l’ensemble des marchés par rapport à 2024.15
− Un sondage réalisé en avril par l’Association Hôtellerie du Québec (AHQ) auprès de ses membres indique que les réservations chez les hôteliers sont semblables à celles de 2024, à pareille date.16
− Un sondage réalisé en avril par Camping Québec auprès de ses membres révèle que 40% des propriétaires de camping de la province prévoient une saison plus achalandée que 2024, et 60% s’attendent au minimum à une fréquentation équivalente à l’an dernier.17
− L’enquête annuelle sur les intentions de sorties des Québécois(es) pour l’été 2025 réalisée en mars par Événements Attractions Québec (ÉAQ) suggère une forte participation des Québécois aux festivals, événements et activités récréotouristiques bien que le budget qu’ils prévoient pour ces activités soit en léger recul (diminution d’environ 3 %). L’enquête souligne aussi que les Ontariens seront plus nombreux à choisir le Québec comme destination cet été.18
Nous portons finalement votre attention sur un autre facteur – potentiellement positif – qui pourrait nous surprendre au cours des prochains mois. Destination Canada dit observer une récente amélioration des réservations d’outre-mer au Canada alors que le sentiment envers le marché touristique américain continue à se détériorer.19 Allons-nous récupérer une partie des touristes internationaux qui se sont détournés du marché américain?
Somme toute
Les perspectives économiques s’assombrissent de façon généralisée à cause de l’incertitude associée à la nouvelle politique économique américaine.
Toutefois, cet assombrissement des perspectives macroéconomiques ne semble pas, pour l’instant, se répercuter de façon significative sur les perspectives du secteur touristique québécois.
Comme nous l’affirmions en janvier dernier, le secteur touristique pourrait bel et bien tirer son épingle du jeu. Les prochains mois nous le confirmeront.
Jean Laneville
Directeur et économiste, Centre d’intelligence d’affaires
1 Wikipedia, Liberation Day (2025)
2 Fonds monétaire international (FMI), Perspectives de l’économie mondiale, avril 2025
3 ibid
4 ibid
5 U.S. Bureau of Economic Analysis, Gross Domestic Product, 1st Quarter 2025 (Advance Estimate), April 30, 2025
6 Federal Reserve System, The Beige Book – Summary of Commentary on Current Economic Conditions by Federal Reserve District, April 2025
7 Banque Nationale du Canada, Le mensuel économique – É.-U., mai 2025
8 Banque du Canada, Rapport sur la politique monétaire, avril 2025
9 Prévisions économiques (avril et mai 2025) de BMO, RBC, Scotia, BNC et Desjardins
10 Institut de la statistique du Québec, Comptes économiques du Québec
11 Finances Québec, Budget 2025
12 Desjardins, Prévisions économiques et financières (avril 2025)
13 Statistique Canada, Indicateurs avancés – entrées aux frontières
14 Le Devoir, Les Américains boudent aussi le Québec, 13 mai 2025
15 MTO, données préliminaires partagées aux Assises du tourisme, 6 mai 2025
16 AHQ, Les réservations tardives se poursuivent en hôtellerie : Une saison estivale qui s’annonce similaire à 2024, 7 mai 2025
17 Journal de Québec, Boom touristique à prévoir dans plusieurs régions du Québec cet été, 10 mai 2025
18 Événements Attractions Québec, Enquête sur les intentions de visite des Québécois(es) pour l’été – Plus que jamais le goût d’en profiter malgré le contexte, 20 mai 2025
19 Destination Canada, constat partagé lors des rencontres des DG et DM des AT des 7 et 8 mai 2025