L’incertitude politique et économique qui accompagne la nouvelle administration américaine est sans pareille. Rarement avons-nous eu en début d’année aussi peu de prévisibilité sur les mois à venir.
Bien que l’exercice soit hasardeux, l’Alliance partage avec vous certaines considérations à l’égard de ce nouvel environnement, de son impact sur l’écosystème touristique du Québec et sur des actions envisageables pour s’y adapter.
À quoi peut-on s’attendre comme impact économique ?
Entre ce que le président Trump exprime et ce qu’il réalisera – et tout ce qui est dit à ce propos ! – il y a de quoi être déboussolé. Une chose est certaine, cependant. Tout cela révèle à quel point notre économie est tributaire du marché américain.
D’ores et déjà, nous pouvons avancer que la confiance des consommateurs et consommatrices et des entreprises est affectée par toute cette incertitude, et que l’effet stimulant de la baisse des taux d’intérêt des derniers mois sur la consommation et les investissements s’en trouve affaibli.1,2
De même, les exportations de biens vers l’étranger constituent le cinquième du produit intérieur brut du Québec bon an mal an, soit environ 134 G$ en 2024.3 Il s’agit d’une proportion qui reflète l’importance de leur production à l’échelle du Québec. Or, cette proportion varie significativement d’une région à l’autre, exposant certaines davantage au commerce international que d’autres. C’est le cas notamment du Nord-du-Québec, de la Côte-Nord, de l’Abitibi-Témiscamingue, de Chaudière-Appalaches et du Centre-du-Québec.4
Ainsi, plusieurs emplois sont en jeu, particulièrement à l’extérieur des grands centres urbains où l’imposition de tarifs douaniers se ferait sentir plus fortement. Présentement au Québec, près de 500 000 emplois sont soutenus par les exportations vers les États-Unis. Approximativement les trois quarts des exportations du Québec prennent le chemin des États-Unis.5
L’impact négatif des tarifs douaniers de 25 % sur les exportations canadiennes aux États-Unis est estimé à 1 900$ par Canadien.6 Le Québec et le Canada entreraient en récession. Les dépenses de consommation et les investissements chuteraient drastiquement, ce qui se traduirait par une diminution généralisée des ventes des entreprises.
Comment cela se traduirait-il pour l’industrie touristique ?
Le consommateur lambda a changé quelque peu depuis la pandémie. Il semble chérir et prioriser davantage les voyages et le bien-être qu’auparavant. D’autant plus qu’il a accumulé de l’épargne durant la pandémie. Les dépenses pour les voyages affichent d’autre part une belle résilience depuis quelque temps. Pour preuve, l’industrie touristique a connu une croissance appréciable en 2023 alors que le Québec était en pleine récession.
Fait particulier, l’industrie touristique serait l’une des rares industries exportatrices à ne pas être désavantagée par l’imposition de tarifs douaniers. D’ailleurs, il nous semble de bon aloi de rappeler que les dépenses réalisées par les touristes internationaux constituent une entrée de devises étrangères au même titre que les exportations. À cet égard, les entreprises touristiques contribuent autant à la croissance économique des régions et aux recettes fiscales des gouvernements que les entreprises exportatrices. Dans un contexte de guerre commerciale, nous pouvons même avancer qu’elles y contribueraient davantage.
Comment s’y préparer?
Dans ce contexte, les gouvernements devront mettre en œuvre des mesures de relance budgétaire afin de stimuler l’économie et pallier les pertes d’emplois. Par sa présence étendue à l’ensemble des régions, de son historique établi en matière de diversification économique, de son apport à la vitalité des collectivités et du contexte économique relativement favorable à sa croissance, l’industrie touristique se présente comme un partenaire économique de premier choix. L’Alliance s’assurera de le rappeler aux gouvernements.
Il n’en demeure pas moins que la situation ne sera pas de tout repos pour les entrepreneurs touristiques. Ceux qui importent des intrants pour leurs activités verront fort probablement leurs coûts augmenter. D’une part, le dollar canadien devrait se maintenir à un niveau relativement bas.7 D’autre part, en cas d’escalade tarifaire, les importateurs canadiens écoperont. Conséquemment, les entrepreneurs touristiques concernés pourraient envisager de devancer leurs achats en augmentant leurs stocks de manière à éviter d’éventuels tarifs. Ils pourraient également en profiter pour discuter de la situation avec leurs fournisseurs – l’incertitude les affecte tout autant. De même, il nous semble prévoyant d’identifier dès maintenant des fournisseurs alternatifs au cas où les prix exigés par vos fournisseurs actuels deviendraient excessifs. Enfin, il va sans dire qu’en période de turbulence, il est prudent de gérer ses liquidités de façon serrée afin d’être en mesure de faire face à toute éventualité.
Comment cela se traduirait-il sur la popularité de notre destination ?
L’attitude agressive et les décisions controversées de la nouvelle administration américaine font mal à l’image de marque des États-Unis. Brand USA aura de la difficulté au cours des prochaines années à renverser cette perception dans l’imaginaire des touristes.
De même, les coupures dans la fonction publique américaine, les contrôles renforcés aux frontières et le durcissement de la politique migratoire représenteront des défis importants pour l’industrie touristique américaine dont l’essor dépend de frontières ouvertes et fluides, d’infrastructures publiques robustes et d’une main-d’œuvre abondante.
Ajoutez à cela un dollar américain fort vis-à-vis les autres devises – étant donné que la Fed devra resserrer sa politique monétaire pour contenir l’inflation – et vous voyez le principal concurrent de notre destination perdre pied sur nos marchés principaux.
Somme toute
Tout porte à croire que l’industrie touristique du Québec parviendra à tirer son épingle du jeu en 2025. Toutefois, avec toute cette incertitude, le mot d’ordre est prudence. « Attachez vos ceintures, nous traversons une zone de turbulence ».
Jean Laneville
Directeur et économiste
Centre d’intelligence d’affaires en tourisme
[1] FCEI, Baromètre des affaires mensuel, décembre 2024
[2] Conference Board of Canada, Index of Consumer Confidence, December 2024
[3] Institut de la statistique du Québec, Comptes économiques du Québec
[4] Institut de la statistique du Québec, Panorama des régions du Québec, édition 2024
[5] Ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Le commerce extérieur du Québec, hiver 2025
[6] Canadian Chamber of Commerce, Canada-U.S. Trade Tracker
[7] Desjardins, Analyses des taux de devises : un dollar plus fort, une volatilité accrue, 15 janvier 2025