L’actualité économique des derniers jours donne l’impression de montagnes russes avec ses sensations de peur et d’amusement qui procurent pour certains un haut-le-cœur et pour d’autres de l’adrénaline. Alors que nos clients se questionnent sur la provenance de leur consommation et leurs intentions de voyage, plusieurs d’entre nous réfléchissent à l’impact qu’aurait une guerre commerciale sur notre industrie. Cette édition de l’escale économique étudie la question.
L’impact économique anticipé des tarifs douaniers
Bien que l’ampleur, la portée des tarifs douaniers, le moment où ils seront imposés et la durée pendant laquelle ils le seront demeurent incertains, les différents scénarios envisagés par la Banque du Canada présagent tous une récession sévère.
Dans son scénario appelé « calibration principale », la Banque du Canada avance que la croissance annuelle moyenne du PIB chuterait de 2,5 points de pourcentage la première année de l’imposition des tarifs douaniers et de 1,5 point de pourcentage la seconde année. L’institution prévoit un retour à la normale qu’à la troisième année.1
L’impact d’une récession sur l’industrie touristique du Québec
Bien que l’industrie touristique ne soit pas directement concernée par l’imposition des tarifs douaniers sur les biens canadiens importés aux États-Unis, elle serait indirectement touchée par le ralentissement économique qui s’en suivrait.
Rappelons que des 11,7 G$ de dépenses des touristes réalisées au Québec en 2023, 7,6 G$ provenaient des marchés nationaux : 5,4 G$ du Québec et 2,2 G$ des autres provinces. En associant les dépenses des excursionnistes aux marchés nationaux, nous obtenons que près des trois quarts (72 %) des dépenses touristiques réalisées au Québec en 2023 sont dues aux touristes et excursionnistes québécois et canadiens.2
Autrement dit, les trois quarts du chiffre d’affaires de l’industrie touristique du Québec sont exposés à une récession qui découlerait d’une guerre commerciale avec notre principal partenaire économique.
Qui plus est, les dépenses touristiques sont considérées comme faisant partie d’une catégorie de consommation dite discrétionnaire, c’est-à-dire non essentielle par opposition à la consommation de base. Pour plusieurs, il s’agit de dépenses effectuées pour répondre à des désirs (p. ex. repas au restaurant, concerts, spas) plutôt qu’à des besoins (p. ex. nourriture, logement et vêtements). Conséquemment, ces dépenses devraient être réduites en premier lieu en cas de difficultés financières.3
Le « revenge spending » et l’évolution récente des dépenses touristiques
Les dépenses associées au secteur touristique ont affiché une résilience inhabituelle entre 2020 et 2023 et certains pourraient espérer que cette tendance se poursuive en 2025. En effet, les dépenses des consommateurs québécois pour les Services de restauration et d’hébergement ont cru de 87 % et celles pour les Loisirs et la culture de 33 % entre 2020 et 2023 alors que le revenu disponible des ménages n’a augmenté que de 15 %.
Cette belle performance cache un effet de rattrapage qui s’est estompé en 2024.4 La part du budget des Québécois consacrée aux Services de restauration et d’hébergement et aux Loisirs et à la culture a chuté drastiquement au fort de la pandémie pour progresser graduellement à sa sortie. Aujourd’hui, tout porte à croire que ce rattrapage (« revenge spending ») est derrière nous : la part du budget des Québécois consacrée à ces postes de dépenses est de retour à leur niveau prépandémique. La même dynamique s’observe à la grandeur du Canada.5,6
Notons, toutefois, que le taux d’épargne de la population québécoise demeure encore aujourd’hui près de deux fois plus élevé que celui enregistré avant la pandémie.
Les intentions de voyages des Québécois en 2025
La menace de guerre commerciale suscite chez plusieurs un élan de nationalisme économique. Le Journal de Montréal énumérait en fin de semaine dernière « 10 façons de faire un pied de nez à Trump ». En première position, vous y trouviez la suggestion de notre PDG, Geneviève Cantin : « Ne pas voyager aux États-Unis… et convaincre les Américains de venir ici ».7
Rappelons que les Canadiens et les Québécois ont une balance commerciale touristique négative avec les Américains. En 2023, la population canadienne a payé 30,2 G$ aux États-Unis pour des dépenses reliées aux voyages alors que les Américains ont payé 14,4 G$ au Canada pour ce type de dépenses. Conséquemment, le Canada enregistrait un déficit commercial touristique de 15,8 G$ avec les États-Unis.8
Il y a là une opportunité pour notre industrie. D’une part, plusieurs Québécois et Canadiens pourraient boycotter les États-Unis et réviser leur plan de voyage en faveur du Québec, d’autant plus que la valeur du dollar canadien est historiquement faible vis-à-vis le dollar américain.9 Plusieurs articles et commentaires dans les médias pointent en ce sens et l’Alliance s’y penchera également au cours des prochaines semaines.
D’autre part, la force du dollar américain vis-à-vis le dollar canadien rend notre destination abordable pour nos voisins du Sud. Rappelons que sur les 4,1 G$ de devises étrangères qui sont rentrées au Québec grâce au tourisme en 2023, 2,1 G$ provenaient des touristes américains.10 À nos yeux, il n’y a aucun doute qu’attirer davantage d’Américains permettrait à l’économie du Québec de pallier le manque à gagner qui résulterait d’une baisse des exportations aux États-Unis.
Enfin, selon Tourism Economics, les consommateurs des principaux marchés touristiques à l’échelle mondiale devraient continuer à prioriser les dépenses liées aux voyages d’agrément en 2025, et cela, bien que la moitié d’entre eux cherchent à limiter leurs dépenses. Ainsi, l’incertitude économique ambiante ne semble pas nuire aux intentions de voyage; toutefois, le contexte pousse les touristes à être plus prudents et plus économes quant à leur choix de destination.11
Somme toute
Une guerre commerciale avec les États-Unis plongerait le Canada en récession, ce qui se répercuterait négativement sur les dépenses touristiques en provenance des marchés nationaux (Québec et autres provinces). Toutefois, la frustration des Québécois et des Canadiens (et des autres pays!) envers les États-Unis risque de s’exprimer positivement sur les intentions de voyage au Québec. Une chose est certaine, cependant. La faiblesse du dollar canadien vis-à-vis le dollar américain avantage notre industrie. Au net, nous pourrions nous en sortir gagnants en 2025. C’est le parti que l’Alliance de l’industrie touristique du Québec a choisi.
Jean Laneville
Directeur et économiste
Centre d’intelligence d’affaires en tourisme
[1] Banque du Canada, Rapport sur la politique monétaire, janvier 2025
[2] Ministère du tourisme du Québec, Performance du Québec en 2023, janvier 2025
[3] Agence de la consommation en matière financière du Canada, Vos outils financiers, en ligne
[4] Les données pour l’année 2024 n’ont toujours pas été publiée. Nous avons estimé la donnée annuelle de 2024 à partir des trois premiers trimestres de 2024.
[5] Institut de la statistique du Québec, Comptes économiques trimestriels, décembre 2024
[6] Statistique Canada, Tableau 36-10-0587-01, janvier 2025
[7] Journal de Montréal, Économie québécoise : 10 façons de faire un pied de nez à Trump, 8 février 2025
[8] Statistique Canada, Tableau 36-10-0007-01, novembre 2024
[9] Banque du Canada, Taux de change mensuel, janvier 2025
[10] Ministère du tourisme du Québec, Performance du Québec en 2023, janvier 2025
[11] Tourism Economics – an Oxford Economics Company, Research Briefing – Value hunting : Redefining the future of leisure travel, January 2025