L’enjeu du recrutement et du maintien en poste du personnel qualifié gagne en importance et s’avère présentement en tête des préoccupations partagées par le plus grand nombre d’entreprises touristiques.1
Or, elles ne pourront pas recourir autant que les dernières années aux travailleurs étrangers temporaires. En effet, les gouvernements du Québec et du Canada ont récemment resserré les règles et durci les critères d’admissibilité des programmes relatifs à cette main-d’œuvre. Conséquemment, plusieurs entreprises touristiques se trouvent dans une situation difficile. Certains représentants de l’industrie craignent même des fermetures de restaurants et d’hôtels, faute de personnel.2,3
Cette édition de l’escale économique brosse un portrait de la situation.
Les enjeux relatifs à la main-d’œuvre
Bien que le taux de postes vacants dans l’industrie touristique ait diminué de façon continue au Québec au cours des deux dernières années, son niveau se situait au début de l’été 2024 (4,6 % au 2e trimestre) à celui observé au courant de l’année 2019 (moyenne trimestrielle de 4,6 %).4 Rappelons que 2019 fut une année exceptionnelle pour l’industrie.
La situation est particulièrement difficile dans les sous-secteurs de l’hébergement et de la restauration où les taux de postes vacants affichés au début de l’été 2024 (5,0 % et 5,1 %, respectivement) étaient nettement supérieurs à celui affiché pour l’ensemble des secteurs (3,5 %).
Au cours des deux dernières années, alors que le nombre de postes vacants diminuait, l’enjeu du recrutement et du maintien en poste du personnel qualifiés est demeuré en tête des défis des entrepreneurs touristiques. À l’automne 2024, plus d’une entreprise touristique sur deux (54 %) déclarait que cet enjeu pourrait constituer un obstacle à leurs opérations au cours des trois prochains mois.5
Les résultats d’un récent sondage RADAR mené par l’Alliance le confirment : 41 % des entreprises et organisations touristiques membres affiliés de l’Alliance ont manqué de personnel en 2024 pour être pleinement opérationnelles (sur la base de 959 répondants).6
Le CQRHT explique les difficultés de recrutement des entreprises touristiques principalement par un manque de candidats et des lacunes chez ces derniers en termes de compétences requises, d’attitude et d’expérience pertinente.7
Les travailleurs étrangers temporaires
L’une des solutions mises en place par les entreprises touristiques pour remédier à la difficulté d’embauche des personnes qualifiées est le recrutement de travailleurs étrangers. Selon le CQRHT, cette solution s’observe surtout dans les sous-secteurs de l’hébergement et de la restauration, et cela, bien que cette solution implique des coûts plus importants et des démarches administratives supplémentaires.8
Selon Statistique Canada, les travailleurs étrangers temporaires sont des personnes du monde entier qui viennent vivre et travailler au Canada pour une période déterminée; souvent dans un domaine précis; parfois seulement pour une saison.9 Depuis le début des années 1970, divers programmes permettent aux à ce bassin de travailleurs de venir au Canada. Toutefois, ces programmes ont connu une expansion rapide au cours des dernières années.
Parmi les plus connus, mentionnons :
- Le Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET);
- Le Programme de mobilité internationale;
- Le Programme de permis de travail post-diplôme, qui est complémentaire aux permis d’étude.10
Le recours à l’immigration dans l’industrie touristique
Selon les résultats du récent sondage RADAR de l’Alliance, un peu plus d’une entreprise sur cinq (22 %) prévoit d’embaucher une personne qui provient d’un pays étranger en 2025. De ce nombre, 71 % ont identifié le recours à des travailleurs étrangers temporaires et 29 % à des étudiants étrangers.11
Le resserrement des règles et des critères d’admissibilité des programmes relatifs aux travailleurs issus de l’immigration temporaire
Les récentes annonces des gouvernements du Québec et du Canada concernant le resserrement des programmes d’immigration temporaire ont pour but explicite de réduire le nombre de travailleurs étrangers temporaires et d’étudiants étrangers.
Ces décisions entraînent des répercussions malheureuses sur l’industrie touristique, et plus particulièrement pour les sous-secteurs de l’hébergement et la restauration, reconnus pour faire davantage appel à la main-d’œuvre étrangère temporaire.
L’une des récentes modifications aux programmes d’immigration temporaire concerne la limite maximale permise de travailleurs au lieu de travail (règle relative au PTET). Cette limite, qui avait augmenté à 30 % des effectifs en avril 2022, a été réduite à 20 % en mai 2024 et rabaissée de nouveau à 10 % en septembre 2024. Or, la moitié (48 %) des répondants qui nous ont indiqué prévoir d’embaucher des travailleurs étrangers temporaires en 2025 évaluent que leur besoin correspond à plus de 10 % de leurs effectifs.12
Même son de cloche à l’Association Hôtellerie du Québec (AHQ) où 43 % des hôteliers considèrent que le resserrement des critères du PTET complique davantage le recrutement de main-d’œuvre.13
L’offre touristique pourrait ne pas suffire à la demande
Il va sans dire que la diminution à 10 % du maximum de travailleurs étrangers temporaires aura des effets dommageables et visibles sur l’industrie touristique du Québec dès l’été 2025.
L’AHQ met en garde le gouvernement du Québec à ce propos : « Plusieurs hôteliers devront laisser aller d’excellents travailleurs étrangers parce qu’ils excèdent le taux de 10% permis, ce qui limitera grandement le tourisme d’affaires et d’agrément dans toutes les régions du Québec puisqu’il n’y aura pas suffisamment de main-d’œuvre pour offrir un service adéquat, notamment en restauration, entretien ménager et accueil à la réception. »14
Comme démontré dans les versions précédentes de l’Escale économique, l’industrie touristique s’avère être l’un des rares secteurs d’exportation à ne pas être affecté par la guerre commerciale avec les États-Unis. En fait, la force du dollar américain devrait convaincre davantage d’Américains à visiter le Québec et le mécontentement des Québécois à l’égard de l’administration Trump devrait en persuader plusieurs à passer leurs prochaines vacances au Québec plutôt qu’aux États-Unis.15
Alors que tout indique que la demande touristique sera au rendez-vous en 2025, les récentes décisions des gouvernements à l’égard des travailleurs étrangers temporaires limiteront vraisemblablement l’offre touristique. Dans le contexte actuel, nous sommes d’avis que les gouvernements se tirent dans le pied : ils laissent de l’argent sur la table qui serait bénéfique pour les régions du Québec, car leurs secteurs primaire et manufacturier pâtiront sans doute au cours des prochains mois.
Somme toute
En mars 2024, le CQRHT et l’Alliance ont publié un communiqué conjoint pour dénoncer des modifications au PTET dans les postes à bas salaire. À ce moment, nous craignions déjà que « sans une main-d’œuvre suffisante, la capacité de l’industrie à offrir une expérience de qualité aux touristes est mise à l’épreuve et pourrait même porter atteinte à la viabilité de certaines entreprises, à la réputation du Canada et du Québec comme destination de calibre internationale et aux retombées économiques de la saison estivale dans toutes les régions. »16
Souhaitons que les gouvernements entendent raison et excluent le secteur touristique des diverses règles limitant l’arrivée de travailleurs étrangers temporaires, et cela, rapidement.
Jean Laneville
Directeur et économiste, Centre d’intelligence d’affaires en tourisme
[1] Alliance de l’industrie touristique du Québec, Situation des entreprises touristiques du Québec – Hiver 2025, janvier 2025
[2] Noovo, Resserrement pour les travailleurs étrangers: nos restaurants sont en danger, préviennent des observateurs, octobre 2024
[3] TourismExpress, Travailleurs étrangers temporaires : sans assouplissement, des hôtels vont fermer, par Claudine Hébert, octobre 2024
[4] Statistique Canada. Tableau 14-10-0442-01 Postes vacants, employés salariés, taux de postes vacants et moyenne du salaire horaire offert selon le sous-secteur de l’industrie, données trimestrielles non désaisonnalisées
[5] Alliance de l’industrie touristique du Québec, Situation des entreprises touristiques du Québec – Hiver 2025, janvier 2025
[6] Alliance de l’industrie touristique du Québec, Sondage RADAR, décembre 2024
[7] CQRHT, Diagnostic sectoriel de la main-d’œuvre en tourisme – Rapport final, septembre 2024
[8] Ibid
[9] Statistique Canada, StatsCAN+ : Quelques données éclairantes sur les travailleurs étrangers temporaires au Canada, novembre 2024
[10] Ibid
[11] Alliance de l’industrie touristique du Québec, Sondage RADAR, décembre 2024
[12] Alliance de l’industrie touristique du Québec, Recommandations budgétaires provinciales 2025-2026, février 2025
[13] Association Hôtellerie du Québec, Mémoire de l’AHQ : Budget 2025-2026, février 2025
[14] Ibid
[15] Alliance de l’industrie touristique, L’Escale économique, janvier et février 2025
[16] Alliance et CQRHT, Préoccupations face aux modifications du Programme des travailleurs étrangers temporaires dans le secteur du tourisme, 21 mars 2024